N3 R5 : Levallois ; Perret ; Potemkine…
Ah ! Levallois ; Perret ; Potemkine… Que de souvenirs…
Alors que, dans quelques mois, les bâtonnets de cire enflammés piqués sur mon gâteau d’anniversaire seront plus nombreux que les cases du tablier de notre noble jeu séculaire, et que dorénavant mes neurones, déjà paresseux depuis quelques décennies, s’embrument inexorablement d’un brouillard toujours plus dense, qu’il me soit permis d’évoquer ici même et de partager avec vous les quelques souvenirs enchanteurs enfouis aux tréfonds de ma mémoire que ces trois mots ont ravivés pour mon plus grand plaisir et, je l’espère, le vôtre.
Ah Levallois ! Cité de mes premiers pas dans la vie professionnelle ; ville où j’appris à vendre des timbres et à rendre la monnaie ; commune où je prêtais serment d’impartialité, serment dont vous, lecteur assidu, pouvez témoigner qu’il ne fut jamais rompu.
Ah Perret ! Toi dont les poésies humoristiques et mélodies entraînantes bercèrent mes jeunes années, des « jolies colonies de vacances » au « zizi » puis, plus gravement, quand dans « Lily » tu pourfendais ce racisme ordinaire qui déjà gangrénait nos esprits engoncés dans un égoïsme trop répandu.
Ah Potemkine ! Ce chef-d’œuvre absolu du septième art et de la propagande dont la scène des marins contraints de se nourrir d’un pain grouillant d’asticots est à jamais gravé dans ma mémoire pourtant défaillante, tout comme est gravée dans ma mémoire pourtant défaillante le spectacle devenu mythique de ce landau abandonné par cette mère lâchement abattue par la soldatesque au service de la tyrannie tsariste, dévalant le grand escalier du port d’Odessa.
Mais nous sommes ici pour parler d’échecs…
Et Potemkine, Perret et Levallois me sont aussi, je dirais même surtout, de plaisants souvenirs échiquéens :
Découverte dans l’ouvrage magistral du quatrième champion du monde, la partie Potemkine – Alekhine Saint-Pétersbourg 1912 participa à la révélation d’un style de jeu qui m’était jusqu’alors méconnu. Je délaissai immédiatement le sinistre gambit de la dame pour le flamboyant gambit du roi. Dès lors à la moindre occasion, aussi ténue fut elle, je sacrifiai pion, qualité, cavalier voire davantage. Les résultats ne se firent pas attendre : je remportais quelques brillantes et rapides victoires (quoique la justesse de la conception ne résistât que rarement à l’analyse objective) et perdit d’innombrables finales en déficit de matériel.
Perret, fut le maître d’œuvre de la reconstruction de la ville du Havre, rasée lors des bombardements alliés de juin 1944. Cette ville est inscrite au patrimoine mondial de l’échiquier du lac pour la finale de feue la coupe 2000 s’y étant déroulée vers la fin du millénaire précédent. Notre équipe y brilla, en particulier Laurent G. (dont je tairais le nom de peur que sa légendaire modestie n’en souffre) qui remporta le prix de la meilleure performance au deuxième échiquier. C’est durant la première ronde de cette compétition que s’est déroulé une partie mémorable durant laquelle je m’adressais à mon adversaire qui venait de jouer un coup illégal par ces mots restés célèbres chez les vieux échiquierdulacois : « Vous êtes en échec, Monsieur » puis, quelques secondes plus tard « Vous avez touché votre dame, Monsieur ».
Enfin, Levallois. Nous rencontrâmes le club de Levallois à trois reprises. Si je fus absent de la rencontre de la saison 2016-2017 en coupe de France, ma prestation en interclubs cette même saison ne laissera pas un souvenir impérissable.
En revanche, notre rencontre précédente lors de la saison 2012-2013 a été pour moi l’occasion de tester une ouverture marginale quoiqu’intéressante découverte quelques semaines plus tôt dans un New in Chess prêté par un vieil ami trop tôt disparu ; mais aussi de rédiger un compte-rendu qui figurerait probablement dans un éventuel « my sixty memorable comptes-rendus ».
Mais vous n’êtes pas ici pour lire les divagations et les radotages d’un vieux joueur d’échecs à moitié sénile.
Vous savez déjà le résultat de la rencontre, publié sans délai par le responsable de notre groupe d’interclubs que je salue ici. En lisant ces lignes, vous souhaitez connaitre le déroulement de cette rencontre, les faits saillants, les anecdotes croustillantes, les renversements de situations, tout ce qui fait le sel de nos rencontres d’interclubs et que ne dévoile pas la seule lecture du résultat final.
Et bien je suis désolé pour vous.
Je n’ai suivi – et seulement avec extrêmes difficultés – que ma propre partie, et « propre » est un adjectif bien impropre dans le cas présent comme vous pourrez le constater.
Aussi, pour ne pas vous décevoir, j’ai demandé à chacun des membres de l’équipe de l’échiquier du lac de me faire un bref compte-rendu de sa propre partie – et vous pourrez remarquer que cette fois, « propre » a été le plus souvent l’adjectif approprié.
Je me suis contenté de la mise en page et de la correction des coquilles. Vous pourrez ainsi juger du style épistolaire (et de la signification du mot « bref ») de chacun.
Dans l’ordre des résultats :
Alain K. :
La victoire ou la mort :
Comme souvent, ma partie ne commence pas très bien – retard de développement, attaqué sur l’aile dame avec structure de pion vulnérable tenue par le seul fou de cases noirs, cavaliers adverses actifs et mes fous passifs. Pour me sortir de l’étau, je décide de passer à l’attaque en sacrifiant la qualité sur l’aile roi avec au départ l’objectif de viser la nulle. Après consultation du chef et alors mon adversaire me tendait la main pour conclure la nulle, je me ravise.
Trois raisons :
Pratique : je n’avais pas envie d’attendre 3 heures sans rien faire en attendant la fin des premières parties (j’ai quand même attendu 2 heures !)
Psychologique : en reprenant l’initiative et en mettant mon adversaire sous pression, j’avais un ascendant favorable sur mon adversaire qui se contentait de la nulle et encore assez de matériel pour rentrer dans des combinaisons tactiques dangereuses et faire nulle plus tard.
Technique : après quelques échecs et deux pions pris en compensation, je réalise que la finale est gagnante si j’échange les dames et une des deux tours – ce qui fut fait
LPP – EdL 0-1
Antoine :
Chef bonjour Chef, voici mon mini CR : Ligne tendue où les deux adversaires ne font pas mystère de leurs intentions belliqueuses. Chaque coup peut faire basculer irrémédiablement la situation. Partie plutôt jouée assez correctement de part et d’autre : quelques imprécisions, bien sûr, mais la véritable erreur n’intervient qu’au 29e coup dans le zeitnot. Pour une fois, conversion assez propre. Voilà !
LPP – EdL 0-2
Olivier B. :
Que dire. C’était une partie intéressante avec un centre très longtemps fermé dans une ouverture non conventionnelle, ce qui naturellement m’a fait calculer à chaque coup toutes les poussées de pions au centre. J’avais eu l’impression d’avoir savamment négocié la poussée au bon moment, et donc d’avoir su patiemment tirer mon épingle du jeu. Patatras ! L’analyse (à 1 contre 3 cela dit) a montré que j’ai poussé trop en dilettante et qu’il avait sans doute le moyen d’obtenir une belle initiative.
Une fois cette opportunité loupée par mon adversaire, il pouvait peut-être le coup suivant encore liquider pour obtenir une position égale. Mais en zeitnot il a joué le coup évident et j’ai alors bien manœuvré pour conserver l’avantage et convertir sans coup férir (en anticipant à un moment une petite combinette vicieuse de fourchette de sa part, ou encore en m’apprêtant à lâcher une pièce sur une mauvaise case, mais que j’ai finalement adroitement repositionnée tant qu’elle était en main).
Un championnat décidément bien difficile mais qu’on continue en tête malgré vents et marées, et un match encore décisif à venir dans 2 semaines. Espérons que tout le monde sera sur le pont.
LPP – EdL 0-3
Laurent :
J’avais déjà rencontré mon adversaire du jour, et perdu avec les blancs sur une Rossilimo et je partais donc avec un petit désavantage psychologique.
Et pas de chance il me joue une dragon avec laquelle je ne me sens jamais à l’aise. Je me suis un peu embrouillé dans l’ordre des coups pour aboutir à transposer en finale, bref j’ai très mal joué par la suite et bravo à mon adversaire pour sa victoire.
LPP – EdL 1-3
Olivier R. :
Début moderne transformé par mon adversaire en est-indienne Saemisch, ce qui m’allait bien.
Il a joué très vite les 15 premiers coups. Structure fermée c4 d5 e4 contre e7 d6 c5. À ce moment-là, environ une demi-heure de retard pour moi. Sa position était solide au centre, roi à l’abri par petit roque. Après avoir échangé par e6 et exd5, j’étais bien et son activité à l’aile dame sur laquelle il massait ses pièces ne me paraissait pas dangereuse.
Il oublia une pointe qui me permit d’échanger mon Ce5 contre son Fd4, ce qui est toujours bon dans ce type de position.
Là, j’eus l’occasion de gagner fort simplement 2 pièces (et probablement un pion ou deux à suivre) pour l’une de ses tours, mais n’en fis rien, estimant contre l’avis de l’ordi qu’un passage en finale rapide avec un pion de plus était plus sûr. Bon, admettons.
Face à cette finale en effet avantageuse T+C pour les noirs contre T+F avec un pion de plus pour moi, mon roi arrivant dans un fauteuil central, aucun objectif d’attaque pour lui et une longue agonie à suivre, il balança un sacrifice de qualité qui me surprit complètement, pour se créer 2 pions passés liés centraux soutenus par son fou.
En réalité un feu de paille, mais me précipitant un peu, alors qu’un ou deux coups de préparation auraient suffi à détruire le duo et assurer la victoire, je lui laissais l’occasion de faire prospérer cet atout.
L’ordi ne bronche pas et me donne toujours -2 ou -3, mais face à l’avancée de son roi, je voyais des variantes bonnes pour lui et me suis mis à lutter pour tenir la position.
J’avançais enfin mes pions passé de l’aile dame et l’obligeais à sacrifier son dernier fou pour obtenir une finale T et 2 pions pour moi, dont le b passé, contre roi et 3 pions pour lui, dont un duo très proche de la promotion soutenu par le roi.
À ce moment, je me suis levé pour voir la feuille. Restaient les parties de Paul, la tienne et la mienne.
Nous menions 3-1, deux nulles nous suffisaient pour gagner le match.
Paul ne pouvant plus perdre, je manquais à la fois de temps et de motivation pour calculer les variantes à un temps près de poussée de pions, qui aurait en effet dues gagner pour moi.
À la place, je choisi la solution sécure pour nous et pris un perpétuel.
LPP – EdL 1-3
Nathan :
Cependant que nous nous dirigions vers le lieu de la rencontre, le chef nous révéla qu’une partie du compte rendu était déjà rédigée. Pour ma part, ce fut effectivement ce que l’avenir confirma : la nulle était conclue avant même d’avoir commencé à jouer. En effet, la position se ferma au sortir de l’ouverture et nous échangeâmes les pièces petit à petit, prenant bien soin de ne pas calculer les variantes (pourtant parfois pas si compliquées à trouver) donnant l’avantage à l’un ou à l’autre des joueurs.
LPP – EdL 1-3
Paul :
Après découverte des appariements (je joue Guillaume Lévêque 2081 avec les blancs), j’ai profité des quelques minutes avant le démarrage de la partie pour me préparer contre mon adversaire, notamment grâce au très pratique schess.org.
J’ai alors rapidement pris un avantage dans l’ouverture, en rentrant dans une variante inférieure de la dragondorf avec les blancs.
Persuadé d’avoir un gain direct et surestimant le potentiel de contre-jeu des noirs dans cette position, je vais alors brûler 40 précieuses minutes à la pendule (qui vont presque s’avérer être décisive !) et me lancer dans des complications après 11.e5? lorsqu’un simple coup de consolidation comme 11.a3 par exemple permettait de maintenir un large avantage. 11.Cdxb5!? pour récupérer un pion en s’appuyant sur le clouage de la colonne a également été envisagé, mais je craignais le contre-jeu noir après 11…Ccxe4. L’ordinateur ne semble cependant pas impressionné et réussit à contenir l’initiative noire, tout gardant le pion d’avance.
Après une série de coups approximatifs de la part des deux couleurs, mon adversaire n’a pas su profiter de son avantage et joue dans cette position 17…Cd4?!, me laissant échanger son fort fou blanc, les noirs ne pouvant pas récupérer le pion f3 à cause de l’enfilade sur la colonne f. C’est à ce moment de la partie que j’ai senti que je commençais à prendre le dessus sur mon adversaire.
Le (premier) tournant de la partie arrive au 24e coup, quand après 24.Cxd4 pour gagner un pion, mon adversaire va gaffer par 24…Te4??, me laissant 25.Ce6! (25.Cb3 fonctionnait également grâce à 25…Fe3 26.Cc5+!) avec une finale gagnante pour les blancs. J’ai eu pas mal de réussite à ce moment-là, car après 24…Rb6 pour se sortir des tactiques, j’avais prévu 25.Te2?? pour conserver le pion, coup dont je laisse le soin au lecteur de punir…
À deux coups du 40e et du rajout de temps qui va avec, je pensais avoir gâché mon avantage, et avec plus que deux minutes à la pendule, je n’ai pas trouvé le gain ici et ai joué 39.Txg4?, espérant une gaffe adverse dans les coups qui suivent. Le contre-intuitif 39.b5!! était le seul coup gagnant, et les blancs vont avoir le temps de ramener le roi vers le pion f, pendant que les noirs récupèrent les deux pions à l’aile-dame.
Finalement, mon adversaire va craquer et jouer dans cette position 43…Te4?? (43…Tf4 suivi de …Tf1-Txf tenait pour les noirs), et après 44.a6, les deux pions blancs sont inarrêtables. Les noirs vont abandonner quelques coups plus tard.
LPP – EdL 1-4
Quant à moi…
Il est manifeste que mon adversaire s’était sérieusement préparé à m’affronter : il a joué la variante critique de la défense contre laquelle je suis le moins à l’aise. Ainsi sous-estimais-je longtemps ma position.
Retombant dans mes anciens travers, je tergiversais : un tempo ou deux je faisais semblant de défendre mon aile Dame, puis je feignais attaquer à l’aile Roi. Le résultat ne se fit pas attendre : à courir deux lièvres à la fois, on rentre la besace vide. Ma position se fissurait puis se lézardait et menaçait de s’écrouler.
Je tentais de pêcher en eaux troubles. Quelques menaces de mat me donnaient encore un léger espoir.
Le miracle survint au 50e coup. Je ne le vis point.
Mon adversaire gagna un pion puis mon cavalier. Trop confiant il me le rendit sous peine de pat. La finale de tour avec son pion de plus passé et protégé qui s’ensuivit n’était pas triviale et mon adversaire mis quelques temps à trouver le plan de gain.
Au 81e coup nouveau miracle ! Malgré le pion de moins la finale de Rois était nulle. Une nouvelle fois je ne le vis pas.
Mon adversaire me laissa une dernière chance au 88e coup (comme me le fit remarquer justement Paul après la partie). Mon aveuglement – ou mon manque de combativité – se perpétua.
LPP – EdL 2-4
Cette victoire nous permet de nous maintenir en tête de notre groupe, dont le classement reste inchangé après cette cinquième ronde.
Je remercie mes partenaires pour leur prestation souvent brillante et pour leur compte-rendu, tous délivrés dans des délais qui satisferaient tous les directeurs de quotidien.
Pour conclure, ami lecteur, je suis sûr que, comme moi, tu as remarqué qu’il était clair que l’un des membres de l’équipe, dont nous n’avions jamais profité de la prose jusqu’à présent, pourrait intégrer sans rougir la guilde des rédacteurs des comptes-rendus de l’échiquier du lac ; de même qu’un autre dont nous n’avons publié qu’un seul texte, pourrait assurément nous faire profiter davantage de son humour.
Je ne dévoilerai pas de noms, mais il semble bien que, comme sur l’échiquier, la relève des compte-rendus soit assurée.
Je comprends Kptain, que tu avais donc déjà préparé la riche séquence initiale émotion et culture, dont tu as le secret.
D’après ce que je lis, le résultat de la rencontre aurait pu être plus sévère si toi et moi avions fait preuve d’un peu de précision à la fin…
Mais bon, comme personnellement je redoutais un peu ce match, notre résultat est joyeux
Posté par Olivier le 26 janvier 2025.
En effet, mais ne boudons pas notre plaisir. Notre dernière saison en N2 avait montré que la pièce pouvait régulièrement tomber du mauvais côté.
Alors comme disait la mère d’un ancien dirigeant français : “pourvou qué ça doure”.
Posté par Benoit le 27 janvier 2025.
Chef vous avez oblitéré le premier tour de Coupe de France 2023 de sinistre mémoire défaillante.
Ravi sinon de découvrir la dragondorf de Paul, mais surtout cette base de données de l’enfer (et content de voir que mon feeling pas très optimiste concernant ta finale T+2p vs T était plutôt correct)
Posté par Olivier B. le 31 janvier 2025.
Grands dieux !
Tu as raison, comment ai-je oublié ce match ?
https://www.echiquierdulac.fr/?p=3841
Posté par Benoit le 31 janvier 2025.