Pour la première fois depuis sa création l’échiquier du lac monte** en N2. Revivez de l’intérieur, minutes par minutes, ce match historique :

Pour le dernier tiers de la compétition, nous devons affronter deux de nos poursuivants immédiats : l’amicale Franco-Yougoslave pour cette septième ronde et Senlis pour la dernière. Notre large avance au classement n’est pas suffisante si nous subissons deux défaites en trois matches. En effet, en cas d’ex aequo, le résultat particulier départage les deux équipes concernées.

J-20 : Tous les membres habituels de l’équipe ont confirmé leur participation.

J-12 : Pour ce match au sommet entre les deux premiers du groupe, Antoine informe le capitaine qu’il tente de convaincre Wing-Yan de venir affronter la championne du Val d’Oise en titre.

J-8 : Le capitaine a fait son choix. Il informe les membres de l’équipe :
Messieurs, le moment de vérité approche.
Une victoire nous mettrait un pied en nationale 2.
Mais l’adversaire n’est assurément pas à prendre à la légère.
Je compte donc sur vous tous pour conserver le sérieux dont vous avez fait preuve jusqu’à présent.

Alain est mis en réserve pour le dernier week-end qui sera décisif.

La composition sera donc celle-ci :
1B Baroudi
2N Antoine
3B Emmanuel
4N Laurent
5B Benoît
6N Olivier
7B Kader

Le rendez-vous est prévu à 13 h 15 au club.

Et bien sûr…

Montjoie ! Saint Denis !

J-7 : Laurent indique au capitaine qu’il préfère jouer avec les blancs.

J-6 : Benoît informe Laurent qu’il jouera donc au quatrième échiquier et Laurent au cinquième.

J-5 : Délaissant pour quelques heures ses difficiles études, Wing-Yan (qui restera encore longtemps la plus titrée de tous membres de l’échiquier du lac) indique qu’elle accepte volontiers de jouer.

J-4 : Laurent précise à Benoît que Géraldine se joindra néanmoins à l’équipe de l’échiquier du lac pour jouer le rôle de supporter-photographe.

Le jour J

13h00 – 13h15 Enghien-les-Bains, rue Talma : Les joueurs – et la reporter – arrivent au point de rendez-vous (sauf Emmanuel et Antoine qui vont directement de Paris à Cergy).

Nous alignons donc la plus forte équipe de la saison avec dans l’ordre des échiquiers Baroudi (blancs) Antoine (noirs), Emmanuel, Benoît, Laurent, Olivier, Abdelkader et Wing-Yan. La consigne du capitaine était sans ambigüité : pas de risques inutiles pour assurer au moins le match nul et conserver ainsi une bonne part de notre avance.
En son for intérieur le capitaine espérait marquer au moins trois points aux échiquiers quatre à sept compte tenu de l’écart de classement prévisible.

13h25 : Comme il en fait part à Olivier durant le trajet, ce dernier douche son optimisme en rappelant que l’adversaire peut aligner un très fort joueur qui n’a pas encore joué cette année.

13h40 : Preuve que le match est pris très au sérieux, tous les enghiennois arrivent en avance à Cergy, la plupart des joueurs (ainsi que la reporter-photographe) arborant fièrement les polos aux armes du club. Laurent distribue les derniers polos.

13h50 : La lecture de la feuille de match fait grimacer le capitaine. Olivier avait raison : le maître FIDE Ludovic Morelle, champion du Val d’Oise 2009 est venu renforcer l’adversaire.

Malgré l’accueil chaleureux et sympathique de nos hôtes, une certaine tension est perceptible côté enghiennois.

14h10 : En prévision de la probable longueur de certaines parties, les tables sont déplacées à la verticale des lampes de la salle.

14h15 : Après les recommandations coutumières, le coup d’envoi du match est donné. Quelques sourires sont crispés lors de la traditionnelle poignée de mains.

14h17 : Emmanuel a perdu un pion.
Géraldine tourne autour des tables son appareil photo en main.

14h45 : Olivier sacrifie un pion pour ouvrir le jeu, gagner la paire de fous et tenter de profiter de la position centrale du roi blanc. Son adversaire accepte le défi.
Comme à son habitude, Kader a laissé son adversaire égaliser facilement.
Wing-Yan prend l’initiative devant le jeu timide de son adversaire.
Baroudi et Antoine sont encore dans les grandes lignes de la théorie.

14h50 : Benoît sort quelques minutes « s’oxygéner les neurones ».

15h00 : Laurent possède un bon contrôle du centre, Emmanuel semble perplexe (après la partie il avouera s’être trompé dans l’ordre de ses coups), Wing-Yan gagne de l’espace mais dépense beaucoup de temps.

15h17 : L’adversaire de Benoît choisit de ne pas conserver la tension au centre. Benoît évalue très longuement les conséquences de la libération thématique.

15h19 : L’adversaire de Laurent installe un avant-poste au centre et égalise. Mais la position est toujours tendue, toutes les pièces sont encore sur l’échiquier.

15h25 : Baroudi prend de gros risques stratégiques : il concède la paire de fous et la dégradation de sa structure de pion pour un pion passé central. Son adversaire commence le siège du pion passé.

15h30 : Wing-Yan a maintenant un net avantage d’espace mais la position de son adversaire est sans réelle faiblesse.

15h38 : Après un bon début, Antoine détruit le centre de pion adverse. Il a probablement complètement égalisé mais la position reste très tendue.

15h43 : Kader prend aussi des risques, il accepte des affaiblissements de sa structure de pion pour un jeu de pièces actif.

15h53 : Emmanuel regagne son pion par une petite combinaison. La position est plus calme et tout à fait équilibrée.

16h01 : Olivier a regagné son pion et conserve la paire de fous. Mais il est maintenant moins bien développé, il empêche toutefois toujours le roi blanc de roquer.

16h15 : Après deux heures de jeu, aucune position n’est décidée : Baroudi va probablement avoir du mal à défendre son pion passé ; Antoine a égalisé mais la position est très tendue ; la position d’Emmanuel est égale, Benoît s’est lancé dans une série d’escarmouches tactiques ; Laurent n’a pas le moindre avantage mais toutes les pièces sont encore sur l’échiquier ; Olivier joue les équilibristes pour bloquer le roi adverse au centre ; Kader a activé toutes ses pièces au prix de sa structure de pion et Wing-Yan a un bon avantage d’espace mais la position de son adversaire est sans faiblesse.
Le capitaine enghiennois est un peu inquiet de la situation de plusieurs pendules (dont la sienne).

16h24 : La pression devenant trop forte, Baroudi sacrifie son pion passé pour un clouage dangereux.

16h31 : Par une jolie « petite combinaison », Laurent affaiblit la structure de pion autour du roi noir.

16h35 : Benoît se rend compte au dernier moment que le sacrifice de qualité prévu n’est pas juste. Il ne peut donc récupérer le pion investi quelques coups plus tôt mais conserve une bonne initiative du fait de la position exposée du roi blanc.

16h40 : Emmanuel demande l’autorisation de proposer nulle, confiant dans la force de ses joueurs dans la dernière heure de jeu, le capitaine accepte, mais pas l’adversaire d’Emmanuel qui compte probablement tirer profit du gros zeitnot qui se prépare.

16h41 : L’adversaire d’Antoine sacrifie un pion. La position devient d’une extrême complexité.

16h43 : L’activité des pièces de Kader commence à payer : après une série de coups précis, il se créé un pion passé central et repousse les pièces adverses.

16h50 : Olivier a dû rendre la paire de fous pour finir son développement, mais le roi blanc est toujours bloqué au centre.

17h01 : Kader gagne un pion sans pour autant desserrer la pression, un point probable est en vue.

17h10 : Laurent gagne aussi un pion, sa Dame ayant pénétré au plus profond de la position adverse.

17h12 : Grosse gaffe de Wing-Yan en zeitnot. Elle perd sa dame pour une tour et abandonne sur le champ. Le manque de compétition s’est fait sentir à la pendule, mais le niveau de jeu est toujours là. Félicitons aussi son adversaire qui malgré le désavantage d’espace n’a jamais été vraiment en danger et a bien su profiter de la faute. Wing-Yan s’isole en salle d’analyse pour réviser ses cours.
EdL – Cergy Franco-Yougoslaves 0-1.

17h15 : L’adversaire d’Emmanuel prend de gros risques en tentant d’infiltrer son roi au milieu des pions centraux.

17h19 : Benoît peut enfin placer son sacrifice de qualité pour profiter de l’affaiblissement de la grande diagonale blanche après une gaffe de son adversaire. Les menaces sont trop fortes, ce dernier dépasse son temps de réflexion à chercher une solution qui n’existe plus.
EdL – Cergy Franco-Yougoslaves 1-1.

17h25 : Gaffe d’Antoine qui, en gros zeitnot, perd une pièce sur une petite combinaison de mat du couloir (qui était, en fait, déjà possible un coup plus tôt). Constatant qu’il n’y a pas de perpétuel Antoine abandonne, très déçu de craquer au dernier moment, après avoir tenu la dragée haute à son adversaire lui aussi maître FIDE.
EdL – Cergy Franco-Yougoslaves 1-2.

17h29 : Olivier signale à son capitaine que son adversaire et lui-même sont en train de répéter les coups, il demande s’il doit faire nulle. Jugeant que les parties de Laurent et Kader seront probablement gagnées et qu’Emmanuel doit avoir un perpétuel en poche, Benoît l’autorise à faire nulle. Fin psychologue, Olivier joue d’abord quelques coups qui semblent anodins. Son adversaire croyant sans doute la partie déjà finie ne se méfie pas et Olivier contrôle bientôt totalement la seule colonne ouverte.

17h35 : Avec quelques minutes seulement à la pendule depuis de nombreux coups, ne trouvant pas le gain – qui était assez difficile à trouver – Emmanuel prend le perpétuel.
EdL – Cergy Franco-Yougoslaves 1-2.

17h39 : Baroudi manque une ressource cachée qui lui aurait permis de valoriser le dangereux pion passé qu’il vient de se créer. Il doit céder un deuxième pion pour tenter de trouver un échec perpétuel.

17h43 : Laurent et Kader gagnent chacun un deuxième pion.

17h50 : Tandis que Benoît fume une nouvelle cigarette pour combattre la tension, son adversaire indique avoir raté un gain trivial. La variante proposée semble convaincante et le capitaine enghiennois se renfrogne pestant contre son incapacité à calculer. L’analyse prouvera que le « gain trivial » perdait en fait du matériel.

17h53 : Laurent simplifie la position pour valoriser ses pions de plus. Malheureusement il choisit de conserver les dames au lieu de transposer dans une finale de cavalier plus facile à jouer.

17h58 : Kader forme un joli réseau de mat autour du roi noir. Devant faire face à de nouvelles pertes matérielles, son adversaire préfère abandonner.
EdL – Cergy Franco-Yougoslaves 2-2.

18h01 : Olivier fait pénétrer ses tours au cœur de la position adverse. Le roi blanc, toujours au centre, est la cible des pièces lourdes. Un sacrifice de fou met fin à son calvaire. L’échiquier du lac prend la tête.
EdL – Cergy Franco-Yougoslaves 3-2.

18h15 : Les deux parties restantes sont toutes deux des finales de dame avec deux pions d’avance à l’avantage de chacune des équipes. Si la logique est respectée, Enghien doit remporter le match. Mais Laurent ne semble pas à son aise.

18h24 : Baroudi sacrifie ses derniers pions pour ouvrir la position du roi adverse.

18h29 : Laurent refuse plusieurs fois de transposer dans une finale de roi gagnante au prix d’un pion. Les spectateurs enghiennois commencent à s’inquiéter.

18h45 : Par une manœuvre précise l’adversaire de Baroudi parvient à échanger les dames en transposant dans une finale élémentaire.
EdL – Cergy Franco-Yougoslaves 3-3.

Toute la pression repose maintenant sur les épaules de Laurent : le résultat de sa partie sera celui du match.

Sachant son équipier très sensible au bruit, le capitaine enghiennois fait de nombreux allers-retours pour fermer la porte de la salle d’analyse.

18h53 : Des grimaces apparaissent sur les visages enghiennois. Laurent a laissé le roi adverse s’activer et permis aux noirs la création d’un dangereux pion passé et sa pendule marque maintenant moins de quinze minutes.

19h03 : Baroudi, Benoît et Olivier retiennent leur souffle. L’adversaire de Laurent a une série d’échecs qui semble gagner le pion passé avancé mais perd la dame.

19h07 : Semblant apercevoir au dernier moment du piège, les noirs place leur dame sur la plus mauvaise case de l’échiquier.

19h15 : Laurent trouve la manœuvre permettant l’échange des dames et la promotion de son pion.

19h16 : Après quelques secondes de réflexion, son adversaire abandonne. L’échiquier du lac remporte le match.
EdL – Cergy Franco-Yougoslaves 4-3.

19h17 : Après avoir reçu les félicitations de ses équipiers, Laurent remarque – pour le cas où les spectateurs enghiennois ne l’auraient pas remarqué – qu’il n’était pas très à l’aise dans cette finale.

19h32 : Le retour est enjoué. Les calculs refaits plusieurs fois. Si Senlis a gagné son match, il faudrait perdre les deux derniers pour ne pas monter en N2.

20h59 : Le site de la FFE indique que Saint-Just-en-Chaussée a battu Senlis. Benoît refait encore une fois les calculs et sourit. Il avise aussitôt ses joueurs par sms : l’échiquier du lac monte en N2…

* NDLR : Le titre a été choisi par le rédacteur de l’article. Nous ne savons pas s’il signifie « Enfin en N2 » ou « Enfin le compte-rendu est posté ».

** : L’emphase est de rigueur car, peu d’enghiennois doivent encore s’en souvenir, l’échiquier du lac commença la compétition en N2. Si ma mémoire est bonne, parmi les membres actuels, seuls Emmanuel Anès, Pierre Carbonnel et votre serviteur faisaient alors partie de l’équipe.