Les vacances du Président – Partie 1
Que fait le Président des ses vacances d’été ? Il joue aux échecs, pardi !
Je suis donc allé dans l’exotique ville de Saint-Quentin dans l’Aisne participer à l’open A du Championnat de France, tournoi également connu comme une cure d’amaigrissement radicale pour se débarrasser des quelques points Elo superflus accumulés durant la saison de matchs par équipes !
Mais n’anticipons pas sur ma déroute finale ; je vous propose un compte rendu circonstancié des faits, rien que des faits. Compte rendu en plusieurs parties, ce sera le feuilleton de cette fin d’été !
Tout d’abord quelques mots sur l’évènement : malgré l’organisation efficace et les bonnes conditions de jeu, à peine 600 joueurs avaient fait le déplacement. Le Championnat de France est en crise, et des changements sont prévus pour l’année prochaine. Il s’agissait donc sans doute de la dernière année de la formule “marathon” à 11 rondes sur 12 jours.
L’open A, dans lequel je me suis aligné en n°7 sur la grille de départ, était réservé aux joueurs classés entre 1950 et 2200, les 10 premières places étant qualificatives pour l’Accession 2016 (le tournoi des plus de 2200). Je ne dirais même pas que c’était mon objectif : mon but était simplement de gagner quelques points Elo. C’est raté ! Il me faut donc trouver quelques excuses, en toute objectivité bien entendu.
J’en ai une toute faite : la moyenne d’âge de mes adversaires était de… 18 ans. Et encore, elle fut aussi haute car un de mes adversaires était un vieillard de 27 ans. Et bien sûr tous ces gamins (et gamines), comme le veut la récrimination consacrée, “ne valent pas leur classement”. La preuve en graphiques :
Comme vous pouvez le voir, je me suis amusé à représenter l’évolution Elo de mes 11 adversaires (R1 à R11) au cours des 5 dernières années. La grosse courbe en bleu, en haut, c’est moi. Plusieurs de mes adversaires ont une progression à + 150 points Elo/an. Je peux vous assurer que pour certains d’entre eux, je voyais même leur niveau monter pendant la partie. C’est de la triche ! Sans compter les autres avantages de la jeunesse : une hygiène de vie en vacances bien meilleure que la mienne, une plus grande fraîcheur physique, une énorme capacité de calcul, et pour certains, un entraîneur pour les préparations !
Allez, trêve d’excuses bidons, place aux parties !
Ronde 1 : Joachim C (2063) – AK
Le tirage au sort m’attribue les noirs pour la première ronde. Je vous fais part d’une première règle scientifiquement prouvée :
Adage présidentiel n°0 : un Championnat de France qui commence avec les noirs sera systématiquement raté.
Je suis apparié à un joueur que j’ai déjà rencontré en 2014. La partie avait tourné à la déroute pour mon jeune adversaire qui s’était incliné en 14 coups (extraits de la partie ici). Mais méfiance, me dis-je, ce n’est déjà plus le même adversaire ! De son côté, il cherche absolument à éviter la même ouverture douteuse qui l’avait mené à la catastrophe, mais son choix se porte sur un début encore pire :
Oui, oui, le pion blanc est bien en a3 et le roi noir en f7 ! Je vous laisse retrouver le début de partie Ici j’ai envie de jouer immédiatement 6…d5 ! mais je me mets en tête de calculer un peu. Et à force de chercher, je trouve l’inquiétant 7. Df3+ Rg8 8. Cg5 et le cavalier est imprenable à cause de 9.Dxd5 mat ! Mais tout cela n’est que chimère : les noirs jouent 8…Dd7 !, parent la menace de mat en f7, et les blancs son sans doute déjà fichus. Au lieu de cela, ne cherchant pas plus loin, je joue le peureux 6…h6 ?! mais conserve néanmoins un gros avantage.
Adage présidentiel n°1 : quand vous voyez un bon coup, jouez-le vite, sinon vous allez finir par voir une fausse réfutation.
La position blanche fait peine à voir mais mon adversaire saisit sa seule chance de revenir dans la partie : 14. f5 ! Ff7 15. Cf4 Ce5 16. Ce6 ! Fxe6 17. fxe6 Dxe6 18. Cxe4. L’avantage noir n’est plus que minimal. Grâce à quelques subtilités tactiques, je maintiens une certaine initiative, mais mon adversaire joue très vite pour me faire tomber. En effet, je n’ai déjà plus que 3 min, contre 1 h 15 pour lui !
Pas question évidemment de bouger le Fb6 et de voir la dame blanche revenir en jeu en croquant b7. Je jette donc un peu d’huile sur le feu avec 25…Cg4, mais 25…Thf8 ! était plus fort avec l’idée 26. Cxb6 ? Txf4 !! 27. Txf4 Cg4 ! menaçant mat en e1 et h2.
Cohérents, les blancs rétorquent en prenant le fou : 26. Cxb6 Txe1 27. Txe1
27… Tf8
Il faut bien sûr continuer les coups intermédiaires, car la reprise en b6 est clairement mauvaise. On pouvait cependant essayer 27… Te8 !? tendant le piège 28. Txe8 ?? Dxe8 suivi de De2 et malgré la pièce en plus, les blancs sont impuissants face au couple noir dame-cavalier.
28. Fg3 Df5 !
Menaçant mat du couloir en f1.
Malgré mon énorme zeitnot et son heure d’avance à la pendule, c’est mon jeune adversaire qui craque :
29. h3 ??
Il croit parer le mat du couloir mais en fait non !!
29… Df1 + 30. Abandon
Pour moi, le seul coup était 29. Rg1, sur quoi j’avais prévu 29… Ce3 ! (menaçant encore de sacrifier la dame en f1) 30. h3 (cette fois, c’est le bon coup) Dg5 ! et ici les blancs doivent être très précis. Quand je lui ai montré cette position à l’analyse, mon adversaire m’a dit qu’il aurait joué 31. d4 :
La question est de savoir si, avec moins de deux minutes à la pendule, j’aurais trouvé le coup de la mort qui tue : 31… Tf3 !!
Voici donc un tournoi qui démarre sur les chapeaux de roues, avec déjà beaucoup d’adrénaline dans cette première partie ! [1/1]
Ronde 2 : AK – Nathan R (2087)
[Non, il ne s’agit pas du fils d’Olivier !!]
Quelques résultats inattendus lors de la première ronde me propulsent déjà table 4. Or, les 4 premiers échiquiers sont retransmis en direct ! Sans doute tétanisé dans mon subconscient à l’idée d’être observé par je ne sais combien de spectateurs, dont quelques amis, je me pétrifie et livre ma pire prestation du tournoi.
Après un début sans saveur de ma part, nous arrivons à la position suivante où les noirs sautent sur l’occasion de s’assurer au moins l’égalité :
Mon jeune adversaire va faire preuve d’une grande maturité : 10…dxc4 ! 11. Fxc4 Cd6 La pointe. Le cavalier est excellemment placé ici et la case c4 est aux mains des noirs. Je regrette que mon pion b soit en b4 ! 12. Fe2 Cd7 13. 0-0 e5 ! Sans peur des fantômes. Les noirs ont correctement évalué que les blancs ne vont rien gagner sur la colonne d : 14. dxe5 Cxe5 15. Cxe5 Fxe5 16. Tad1 De7
J’ai joué pour obtenir cette position, pensant pouvoir combiner sur l’alignement C/D/F sur la diagonale a3-f8.
17. b5 ?
Rétrospectivement, l’idée est stupide, puisqu’au maximum je gagne une qualité, pour laquelle j’aurais donné deux pions. Cela ne peut pas marcher.
17…axb5 18. Fa3 ?
On pouvait encore faire marche arrière en reprenant en b5. Mais j’étais tellement frustré de ne rien avoir pu créer dans l’ouverture que je me suis laissé emporter !
18… bxa4 19. Cxa4
19… De6 !
Tout simplement. Les blancs n’ont rien du tout, à part des pièces en prise sur la colonne a. J’abandonne 4 coups plus tard. Une belle raclée retransmise en direct [1/2]
Adage présidentiel n°2 : la prochaine fois, trouve le câble de la retransmission et débranche-le.
Ronde 3 : Cédric L (2065) – AK
Il me faut vite faire une bonne prestation pour reprendre confiance. Je suis aidé par mon adversaire qui est dans un mauvais jour et me permet d’obtenir ma victoire la plus aisée du tournoi.
Il va sans dire que quelque chose s’est mal passé pour les blancs dans l’ouverture ! Quelques coups auparavant, j’ai joué un coup qui – pensais-je – l’empêchait de roquer à cause d’une longue suite tactique. Mon adversaire, après une longue réflexion, tomba d’accord avec moi et se résigna à jouer une poubelle. Mais en fait il pouvait complètement roquer, nous avons été victimes d’un aveuglement réciproque !
Adage présidentiel n°3 : toute suite tactique de plus de 5 coups est fausse. Ce principe ne souffre d’aucune exception en ce qui me concerne.
Dans la position du diagramme, les noirs ont la lourde tâche de devoir abréger les souffrances blanches le plus vite possible.
11… Dh4+ ! 12. g3 Dd4
Une nouvelle mauvaise nouvelle pour les blancs : la dame et le fou c8 vont mettre la pression sur le pauvre pion d3 qui va devoir être protégé… par le roi. C’est fort, une paire de fous !
13. Rd1
Triste mais forcé.
13… Ff5 14. Rc2
Et là, on se dit : ce n’est pas possible, il y a forcément quelque chose ! J’avais une furieuse envie de faire marcher le coup 14… Dc4 + mais je n’arrivais pas à trouver la suite. Après 20 minutes de réflexion, je me dis tant pis, et je roque, mais ma première intention était bien la bonne ! Voici la ligne de gain donnée par l’ordi :
14… Dc4 + 15. Rd2 Fb4+ 16. Cc3 Dc5 ! (menaçant d4, qui n’était pas possible de suite car la dame est en prise) 17. a3 ! Fxc3 + 18. bxc3 d4 19. cxd4 Dxd4 20. Tb1
J’avais calculé (à peu près, cf. adage n°3) jusqu’à cette position et avais l’impression que les échanges profitaient plutôt aux blancs, qui se sont un peu libéré. Mais en réalité, je peux gagner du matériel ici :
20…0-0-0 !! (il faut y penser !) 21. Tb3 Dc4 ! 22. Tc3 Fxd3 !! 23. Txd3 Txd3 24. Dxd3 Td8 25. Dxd8 + Rxd8 et la dame devrait s’imposer face au fou et à la tour blanches.
Cela dit, si l’on revient à la partie et à la position de l’avant-dernier diagramme, 14… 0-0 reste un bon coup, avec l’idée d’ouvrir un nouveau front avec f7-f6. Les blancs essaient tant bien que mal de se libérer et nous arrivons à la position suivante :
Les blancs ont fait ce qu’ils ont pu : repoussé la dame noire en a6 et le fou noir en d7, et développé le cavalier en d2. Bien que la position reste désagréable, on peut dire qu’ils n’ont jamais été aussi bien de toute la partie ! Malheureusement, comme cela arrive souvent, c’est juste au moment où on croit s’être sauvé qu’on commet l’erreur fatale :
20… fxe5 21. Fxe5 ??
Reprendre du pion était le seul coup.
21… Fd4
Les pertes matérielles sont inévitables : la Ta1 est attaquée et ne peut pas vraiment bouger sans laisser la dame noire s’infiltrer en a2. Les blancs décident de sacrifier la qualité et de colmater au moins l’aile-roi mais c’est insuffisant :
22. h3 Da5 !
La Ta1 ne va pas s’envoler.
23. Tfc1 Txf4 24. Abandon
Il y a trop de pièces blanches en prise !
Me voici donc de nouveau en selle [2/3]. Suite dans le prochain épisode !
“Je peux vous assurer que pour certains d’entre eux, je voyais même leur niveau monter pendant la partie”. Ah ah ! Blague à part, quand je vois Auguste ou Charles pointer à 1400-1500, je réalise que le sous-classement des jeunes n’est pas forcément une illusion.
Monsieur le président pourra se consoler avec la partie So-Aronian du tournoi de St-Louis, ronde 4.
Posté par Joël le 28 août 2015.
Quel plaisir en effet de voir Levon jouer une partie d’attaque !
Posté par Antoine le 28 août 2015.