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N3 ronde 2 : Le Cauchemar

L’espace du lac est envahi d’une vingtaine de gamins.

Les plus jeunes d’entre eux, la partie terminée après une douzaine de minutes courent entre les tables en jouant à chat avec force rires, éclats de voix et bruits de chaises déplacées. L’accompagnateur tente, sans beaucoup de conviction sachant l’inutilité de la chose, de les rappeler à l’ordre. Ils s’échappent hors de la salle en claquant bruyamment la porte.
Les trois plus âgés sont adossés au mur, ils s’esclaffent et se donnent des coups de coude en regardant une vidéo niaise sur un téléphone portable.
Lors d’un rare moment de silence, on entend un petit garçon catastrophé s’exclamer, en présentant ses petites mains potelées couvertes d’encre : « Monsieur, monsieur ! Mon stylo y marche p’us ! ».
Quelques bambins restent calmes : l’un d’entre eux, comme hypnotisé par l’écran, appuie toutes les demi-secondes sur le mécanisme de la pendule qui émet un bip à chaque manipulation.
Malgré l’ambiance agitée, un autre s’est endormi, un léger sourire aux lèvres, la tête posée sur ses bras croisés au-dessus de son chandail ; il ne se rend pas compte que le jus d’orange renversé par ses turbulents camarades envahit peu à peu son pull.
Un troisième est accoudé à ma table de jeu, tellement penché sur l’échiquier qu’il me cache une bonne partie de l’aile roi. Il dévore sa part de gâteau marbré dont les miettes saupoudrent l’échiquier. Comme elles doivent gêner sa perception de la position, il époussète l’échiquier d’un geste rapide, emportant d’un même élan, le pion h4, la feuille de partie et mon stylo. Confus, il se précipite pour les ramasser, renversant du coude mon gobelet de café qui inonde mon pantalon.
Impassible, je récupère ma feuille de partie, mon stylo, déplace le pion sur la case contigüe à celle où la petite main tremblante l’avait reposé et m’apprête à délivrer le très classique Fxh7+ qui doit mettre un terme à la partie quand soudain mon téléphone portable sonne dans la poche de mon manteau. Malgré tous mes efforts, je ne peux manipuler la fermeture à glissière, la sonnerie de plus en plus stridente envahie la salle couvrant les klaxons des voitures et les cris des jeunes à l’extérieur. Je me sens devenir écarlate de honte. Un de mes équipiers me saisit par l’épaule.
« Tu peux l’éteindre s’il te plait » me murmure une voix douce quoique légèrement irritée. Je m’assoie brusquement dans mon lit et appuie rageusement sur le réveille-matin.

Quelques heures plus tard, il fallait bien me rendre à l’évidence : il ne s’agissait pas du tout d’un rêve prémonitoire. Non seulement aucun des jeunes de l’équipe adverse ne courait entre les tables – les seuls à se déplacer un peu étaient les membres de l’échiquier du lac – mais aucune partie n’était terminée après deux heures d’âpre combat.
J’avais bien expliqué à mes coéquipiers que les classements Elo des membres de l’équipe adverse ne reflétaient pas le réel niveau mais je ne pensais pas assister à une telle résistance (ni même à un tel sérieux et une telle application) au vu de la feuille de match. En effet, s’il manquait quelques cadres à notre équipe – efficacement remplacé par les retours en équipe première de Philippe et Iskander (mais n’anticipons pas) – il en était de même chez l’adversaire, mais à Enghien-les-Bains comme à Clichy, la motivation et le sérieux étaient bien présents comme en témoigne la durée moyenne des parties : 47 coups !

Iskander ouvrit le score après une jolie « petite combinaison » qui aurait dû rapporter un pion mais en gagna finalement deux. Alors que notre sixième échiquier s’attelait à la simplification systématique pour faire fructifier son avantage matériel en finale, son adversaire fut victime d’une hallucination et donna sa dame.

Philippe joua la « variante grande poche » chère à notre ancien président. Il prit tout le matériel généreusement offert, resta bien attentif aux menaces de début d’attaque sur son roque de son adversaire, pour finalement mater par une contre-attaque fulgurante.

Au cinquième échiquier la partie fut longtemps égale, puis Alain prit peu à peu l’avantage et gagna un pion central grâce à sa pression à l’aile Roi. Avec patience, il améliorait sa position quand les blancs, à l’approche du contrôle de temps, firent un grosse gaffe et abandonnèrent aussitôt.

Benoît apporta le quatrième point après avoir obtenu un avantage structurel, transposé en finale et gagné un pion par une jolie manœuvre de ses tours. Mais il se relâchait et laissa à son jeune l’adversaire l’opportunité de s’activer. Celui-ci s’en saisit mais commettait peu après une faute qui permettait au capitaine enghiennois de promouvoir son pion passé.

Géraldine avait la redoutable mission d’affronter le fils d’un grand maître. Elle donna un pion dans l’ouverture pour un semblant d’initiative puis un deuxième pour une longue suite tactique très compliquée dont les deux adversaires se sortirent avec les honneurs (et une qualité pour notre Girondine). Elle rata probablement l’estocade à l’approche du contrôle de temps puis dans la finale tour contre fou et deux pions. Mais Géraldine garda son calme et transposa dans une finale de dames nulle assurant ainsi le gain du match.

Antoine entra dans une variante très tendue. Les roques opposés promettaient du spectacle et il y en eu : notre président sacrifia rapidement une pièce puis une qualité sur le roque adverse. Malgré la tour de moins l’attaque était décisive mais cachée. Une interversion de coup permit un contre sacrifice et l’avantage changea de camp. Les blancs possédaient deux tours et un cavalier contre la dame enghiennoise mais n’étaient pas encore développé et leur roi quoiqu’idéalement protégé par un cavalier n’était pas à l’abri. Après un zeitnot très tendu où les deux adversaires montrèrent leur maîtrise nerveuse, une répétition conclut cette partie sauvage.

Kader a peut-être trop voulu forcer. Après avoir pris un léger avantage de début il se lança dans une combinaison qui lui laissait une tour et ses huit pions contre les deux fous et six pions. La structure de pions bloquée restreignait la mobilité des pièces, et le roi noir contrôlait les cases de pénétration de la tour. Avec un grand sang froid et une rare précision son très jeune adversaire colmatait les brèches, anticipait les percées. En forçant, Kader ouvrit les lignes pour sa tour mais aussi pour les fous. Le jeune clichois était toujours aussi précis. Et peu à peu la tour fut malmenée, les deux fous rayonnaient sur tout l’échiquier gagnant un puis deux pions et enfin la partie.

Laurent est tombé dans un « piège de début ». Il s’est laissé entraîner dans une position certes approximativement égale mais qui ne lui convient pas du tout. En revanche la jeune clichoise s’y est montrée tout-à-fait à l’aise. Elle a profité des imprécisions commises pour obtenir une position supérieure puis gagner un gros pion. La réaction de Laurent a été trop tardive pour inquiéter son adversaire qui, avec calme, a repoussé les tentatives d’arnaque.

Une victoire par 4 à 2 étriquée en ne considérant que le classement Elo des joueurs mais logique au regard des parties. Nul doute que ces jeunes donneront aussi du fil à retordre aux autres équipes.

Et en bonus, une première place qui n’est plus partagée qu’avec l’équipe d’Asnières que nous rencontrons le lendemain pour ce qui est déjà un match au sommet.

6 commentaires.

  1. hi hi j’aimais bien la version cauchemar
    (pauvre Laurent, ça aurait été surtout pour lui ce cauchemar, avec tout ce bruit !)

  2. Merci pour ce compte rendu tres amusant et original !

  3. Quelle mise en scène, j’y ai cru au début !!
    Effectivement, avec ces petits jeunes, on ne sait qui on a en face…
    Bravo à vous d’avoir gagné ce match piège, et à toi kaptain pour ton CR original !

  4. Merci Chef pour ce compte rendu… J’ai l’impression que vous avez passé ma partie à l’ordi !

  5. Non non :-° J’ai vu la combinaison en lisant les coups sur la feuille de partie 😛

  6. Je pensais qu’il y avait un match de gamins en même temps… et j’ai même imaginé le Chef avec plein de café sur le pantalon !
    Quel talent !

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